Expressément

Dans la rubrique EXPRESSÉMENT, nous mettons en avant un sujet, une initiative ou un projet qui illustre ce que « l’un pour l’autre » signifie. Ce qui nous rapproche et nous unit ou sur ce que la coopérative DELA peut faire pour vous.

Les souvenirs : le plus grand réconfort face à la perte d’un être cher

Discuter, partager des souvenirs ou raconter des histoires peut aider à perpétuer la mémoire de ceux qui ne sont plus. Pourquoi est-ce important ? Quelles sont les façons de procéder ? Voici les questions que nous avons posées à l’experte du deuil Uus Knops et à l’entrepreneur de pompes funèbres Eric Schellebroodt.

Les souvenirs, comment ça marche ?

Tout le monde ne se souvient pas de la même façon. Le rôle de notre cerveau dans ce processus est néanmoins identique pour chacun.

Comme l’explique le professeur en neurologie Steven Laureys dans son ouvrage Un si brillant cerveau, notre cerveau fait des choix en permanence. « Vous ne pouvez raisonnablement pas vous souvenir de tout. Ce serait trop pour notre cerveau. En fait, notre cerveau fait constamment des choix : qu’est-ce que je veux et ne veux pas conserver ? Qu’est-ce qui est important pour moi ? Les émotions jouent un rôle essentiel à cet égard. Les souvenirs les plus marquants et les plus détaillés de notre propre vie sont souvent des événements d’ordre émotionnel, comme un accouchement, un mariage ou un décès. Ils sont généralement plus clairs et plus détaillés que nos souvenirs des événements “neutres”. De même, les moments où on nous parle d’un événement bouleversant, comme les attentats des tours jumelles, sont souvent plus nets dans notre mémoire. »

Des cellules cérébrales actives

La formation d’un souvenir active certaines cellules cérébrales spécifiques. Ces mêmes cellules cérébrales sont réactivées lorsque le souvenir en question est évoqué, renforçant ainsi certaines connexions et imprimant le souvenir dans la mémoire. Les émotions accentuent ce phénomène. Nous nous souviendrons plus facilement des événements qui touchent à nos émotions, qu’elles soient positives ou négatives, que des événements qui n’éveillent en nous aucun sentiment.

Efficacité accrue des stimuli intéressants

L’hippocampe, qui doit son nom à sa forme caractéristique, joue un rôle essentiel dans le stockage des nouveaux souvenirs. Leur enregistrement effectif dépend du où, du quoi, du pourquoi et du comment d’un événement. Seuls les stimuli jugés suffisamment intéressants ou importants seront stockés dans la mémoire à long terme, tandis que les autres passeront à la trappe.

Les odeurs réveillent les souvenirs les plus puissants

Les odeurs constituent la principale stimulation de notre mémoire. Pensez à la fumée du cigare de votre grand-père, à l’odeur d’herbe coupée qui vous rappelle votre enfance ou encore aux vapeurs bien odorantes de la potée de votre grand-mère qui mijote dans la marmite. Nous les reconnaissons, car la partie du cerveau qui les traite est située juste à côté du centre des émotions. Ce centre se met en action lorsqu’une odeur familière pénètre dans notre nez. Ainsi, les odeurs que nous connaissons depuis notre enfance sollicitent bien plus ce centre émotionnel que des photos qui évoqueraient les mêmes souvenirs, par exemple.

Depuis la nuit des temps

L’odorat est un sens très ancien, une relique de la préhistoire, comme nous l’explique Rick Schifferstein, chercheur à l’université de technologie de Delft (Pays-Bas) : « Nous le voyons encore aujourd’hui chez les animaux, qui se fient presque tous à leur odorat lorsqu’ils explorent leur environnement. Nos ancêtres utilisaient probablement aussi fréquemment leur nez pour déterminer si une région était sûre ou non. Ces informations étaient stockées dans leur cerveau. C’est pour cette raison que nous continuons à associer inconsciemment et très rapidement certaines odeurs à des situations passées que nous avons trouvées déplaisantes ou, au contraire, extrêmement agréables. »

En tant que psychiatre et experte en matière de deuil, Uus Knops sait mieux que quiconque à quel point les souvenirs importent dans la vie. Il n’y a pas de plus beau cadeau qu’un souvenir. Après le décès d’une personne, il est impossible d’en créer de nouveaux mais vous pouvez toujours en découvrir. Recevoir ces souvenirs en cadeau, être reconnu(e) comme une personne en deuil et sentir l’attention de ceux qui vous offrent ces souvenirs a quelque chose d’extrêmement réconfortant.

Le chagrin a le droit d’exister

On souhaitait autrefois toujours « bon courage » aux proches en cas de décès. Les mœurs tendent à changer, comme nous l’explique Uus : « Pourquoi faudrait-il nécessairement avoir du courage en période de profonde tristesse ? Acceptez le chagrin, sachez qu’il a le droit d’exister. La véritable compassion consiste à entrer dans la tête et dans le cœur de la personne endeuillée. » La transmission des souvenirs est donc essentielle.

« Il est très important de partager des souvenirs en cas de décès. Écrivez-les sur une carte, en signe de votre compassion. J’ai vu un jour un post Instagram d’une personne dont la mère était décédée il y a plus de quinze ans. Le message qui l’avait le plus marquée était une carte de son oncle, sur laquelle figurait une chouette anecdote à propos de sa mère. Une vieille histoire, qui remonte à l’époque où elle n’était pas née. Partager un souvenir ne coûte qu’un petit effort, mais représente un cadeau inestimable. »

« Les souvenirs sont un important moyen de garder près de nous ceux qui ne sont plus, d’entretenir leur présence, de ressentir ce qu’ils représentent pour nous. »

Saviez-vous que… ?

Continuer à dire le nom de personnes qui ne sont plus là, continuer à se rappeler et à partager des souvenirs sont des moyens de garder près de nous ceux qui ne sont plus présents physiquement...

« Les souvenirs finissent par s’estomper. Il est donc bon de se raconter des histoires à propos du défunt, par exemple en se demandant : “Tu savais qu’il avait déjà… ?”, “Tu sais ce qu’elle a dit à l’époque ?” L’image de la personne disparue reste ainsi concrète. Elle se complète même en combinant plusieurs histoires. Avec tous ces récits, vous prolongez l’existence de cette personne qui vous manque. »

Se souvenir durablement

Pour Uus, il est primordial de continuer à se souvenir. C’est dans cette démarche qu’elle a écrit « Casper – een rouwboek », un récit poignant qui relate les recherches déployées pour retrouver son frère décédé. « Casper a disparu avec un ami, lors d’une randonnée au Venezuela, et a été retrouvé six mois plus tard. Au début du livre, j’évoque des souvenirs de l’enfance de Casper. Je parle aussi des préparatifs de son voyage au Venezuela. Cinq ans après sa disparition, j’ai envoyé un e-mail à ses amis pour leur demander dans quelle mesure Casper était encore présent dans leur vie aujourd’hui et quels souvenirs ils avaient gardés de lui. Ces partages ont été et sont extrêmement réconfortants. Les souvenirs fonctionnent de la même manière que la ficelle qu’on utilise pour empêcher un ballon de s’envoler : ils gardent ceux qui s’en vont à proximité. Les souvenirs sont un important moyen de garder près de nous ceux qui ne sont plus, d’entretenir leur présence, de ressentir ce qu’ils représentent pour nous. C’est un peu comme les entrevoir dans un éclair. »

« Tout le monde a besoin de se créer un souvenir de quelqu’un »

À quel point se souvenir est-il important et quelles sont les façons de se souvenir d’un proche après son décès ? Nous avons posé quelques questions à Eric Schellebroodt, entrepreneur de pompes funèbres du centre funéraire Dubois-Tanier à Wanze, un des centres funéraire de DELA.

À quel point est-il important de se souvenir ?  

Eric : « C’est propre à chacun, il n’y a pas de règles. Certains ont un besoin fondamental de se souvenir de quelqu’un et d’avoir quelque chose de physique et de matériel qui les lie à la personne disparue. Cela peut être différent pour d’autres qui préfèrent penser à des moments partagés ensemble, des souvenirs de vacances, de bonnes tranches de rire… Dans tous les cas, tout le monde a besoin de se créer des souvenirs de quelqu’un. Cela contribue au travail de deuil et permet de lâcher prise pour aller de l’avant et reprendre le fil de la vie, et c’est une manière aussi de repenser aux bons moments. »

Quelles formes peuvent prendre ces souvenirs ?

Eric : « Elles peuvent prendre toutes les formes. Il y a les photos que l’on affiche à la maison, les cartons souvenirs que l’on garde précieusement dans son portefeuille, une mèche de cheveux, une bague que l’on porte. Nous avons aussi des arbres de vie dans le funérarium où le nom du défunt est inscrit sur une petite plaquette. Après un an, la famille vient la chercher, après une autre cérémonie si nécessaire. Il existe également des forêts commémoratives, des lieux en pleine nature qui permettent de se recueillir et de se souvenir. »

Ces souvenirs, ils ne sont pas forcément tristes ?

Eric : « Oh non, pas du tout. Que ce soit lors des funérailles ou à n’importe quel moment, nous pouvons faire en sorte de créer un “chouette” souvenir si ces termes peuvent être utilisés. Cela doit être fait selon la personnalité du défunt et de ses proches. Nous avons déjà vu des gens trinquer pendant et après les obsèques, partager des anecdotes et des moments agréables, avoir des fous rires en se remémorant des choses. Chacun se crée son souvenir à sa manière, il faut encourager les gens et les familles à s’exprimer comme ils le veulent et le ressentent. Je pense que c’est la meilleure façon de se souvenir d’un proche et de continuer à le faire ‘vivre’ au quotidien. »