Inspiration

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Le deuil ne s’atténue jamais, mais la vie reprend le dessus

Cinquante personnes, cinquante entretiens intenses à propos de la place du deuil dans une vie. Les mots échangés deviennent un croquis, un texte, un dessin ou un récit. Silke Reyntjens a planché pendant quatre mois sur son mémoire de master pour constituer un dossier inspirant avec un message central fort : le deuil est autorisé.

Conseils pour créer des souvenirs tangibles

Comment vous assurer que vous vous souviendrez toujours des moments du quotidien que vous vivez pleinement aujourd’hui ? Et comment honorer davantage les moments chargés d’émotion qui restent gravés dans votre mémoire ? En les rendant tangibles ! Dans ce blog, vous découvrirez plusieurs conseils pour maintenir vos souvenirs en vie, au plus près de votre cœur.

Silke Reyntjens (28) a étudié l’histoire de l’art et prépare actuellement un master en bande dessinée à la LUCA School of Arts de Bruxelles. En dehors des heures de cours, elle anime des ateliers pour enfants à l’académie d’Anderlecht. Son crayon et son carnet de croquis ne sont donc jamais bien loin.

Immortaliser des tranches de vie

En octobre dernier, Silke a été invitée à venir « immortaliser » des récits au café-deuil de Louvain, à l’occasion de la Semaine de la santé mentale : « Dans ce type de café, les gens racontent leur perte à des poètes, des artistes, etc. qui réalisent des œuvres sur place, sur la base de ce qu’ils entendent. Sur quatre heures de temps, j’ai pu échanger (il s’agissait en fait plutôt d’écouter et de dessiner) avec trois personnes endeuillées. Ayant moi-même perdu une amie proche à l’âge de vingt ans, j’ai pensé : ça pourrait être moi, de l’autre côté de la table, en train de parler de Sylvie. J’ai pu constater que cette expérience apporte une certaine satisfaction à la personne qui s’exprime. Évoquer la perte d’un être cher à travers des souvenirs permet vraiment de se sentir mieux. »

« Un père a attrapé un cancer de l’œsophage, mais a continué à travailler (avec un foulard), parce qu’il voulait le meilleur pour ses fils. C’est à table qu’il leur a annoncé qu’il ne lui restait pas beaucoup de temps. »

« J’ai remarqué que cette expérience apporte une certaine satisfaction à la personne qui s’exprime. Parler de la perte d’un être cher à travers des souvenirs permet vraiment de se sentir mieux. »

Une semaine plus tard, Silke devait rendre son projet de mémoire de master : « J’avais beaucoup d’idées, jusqu’à ce que mes amis me disent : “Pourquoi tu ne ferais pas simplement ce que tu as fait au café-deuil ?” Je me suis rendu compte que l’idée d’écouter, de recueillir des témoignages pour en retranscrire mon interprétation (artistique) me plaisait. C’est ainsi que mon projet a vu le jour. »

Une vision différente du deuil

Le projet de Silke symbolise également le deuil de son amie Sylvie : « Je me suis basée sur la perte à laquelle j’ai moi-même été confrontée. Quand nous avions 20 ans, Sylvie a été prise dans un ressac et s’est noyée alors qu’elle était en vacances au Maroc. L’année qui a suivi a été très difficile. Je me sentais faible, le deuil ne me quittait pas. J’ai envisagé ce projet de master comme une occasion de me ressaisir. Je me suis ainsi affranchie de ma propre expérience du deuil pour en faire quelque chose de plus personnel. Le choix du titre Sylvie is erbij / Sylvie est là n’est venu qu’à la fin du projet. »

Pour obtenir tous ces témoignages, Silke a lancé un appel sur Facebook. « Je travaille sur un projet lié au deuil. Des volontaires pour me raconter leur histoire ?  Les réponses se sont faites timides dans un premier temps. Jusqu’à ce que je remplace la question “Des volontaires pour me raconter leur histoire ?” par “Des volontaires pour m’aider ?”. J’ai finalement recueilli cinquante témoignages, allant de la fillette de 10 ans qui a perdu son père au sexagénaire confronté au suicide ou au cancer. Grâce à ces cinquante récits, ma vision du deuil a complètement changé. La perte a également un fort pouvoir fédérateur. »

« J’ai dessiné les vagues dans lesquelles Sylvie s’est noyée, mais aussi le sentiment qui s’est installé dans mon esprit. »

Silke - 28 ans

Je travaille à mon compte sous le nom d’artiste «SIRE» et je donne cours à l’académie d’Anderlecht. Lorsque nous avions 20 ans, Sylvie, l’une des membres de notre groupe d’amis, s’est noyée durant un voyage au Maroc. La phrase «vous êtes trop jeunes pour vivre cela» hantait mon esprit depuis ce jour. Avec ce projet sur le deuil, je m’attaque à mon propre chagrin et à la question de l’éventualité. Le dessin est pour moi une forme de travail, mais surtout un refuge méditatif. Je vois «Sylvie is erbij» comme un projet qui permet de briser le tabou du deuil et de tordre le cou aux idées reçues telles que «il faut donner une place à chaque chose» ou «le temps guérit toutes les blessures». Le deuil fait de vous ce que vous êtes aujourd’hui.

Les couleurs de la vie ne disparaissent jamais

« J’ai toujours procédé de la même manière : chaque fois, j’ai laissé la personne parler pendant environ deux heures, tandis que je notais et dessinais ce que j’entendais dans mon carnet de croquis. J’ai ensuite compilé le tout dans une peinture qui illustre toutes les émotions évoquées. De manière tantôt très concrète avec des références aux mots employés (p. ex. un tatouage, le bijou d’une grand-mère, une citation), tantôt abstraite. J’ai également demandé à chaque personne interrogée de me fournir une photo et un petit texte de présentation. J’ai chaque fois redessiné la photo pour l’intégrer à la peinture, tandis que les textes ont été réécrits pour accompagner les peintures. J’ai finalement posé un papier calque sur ces éléments. »

Ce papier calque a une signification particulière pour Silke : « Ce calque symbolise le voile que “revêt” une personne endeuillée. Il ne vous empêche pas d’avancer, mais vous continuez de le porter. Je ne me présenterai jamais en disant “Salut, je m’appelle Silke et j’ai perdu l’une de mes amies les plus proches à l’âge de 20 ans.” Ce n’est pas une façon de faire. Et pourtant, cet événement définit ma façon de penser et ma façon d’être aujourd’hui. Même si c’est une bonne chose, on peut dire qu’une sorte de voile s’est déposé sur moi. Je place ce papier calque à la fois sur le texte et sur la peinture. C’est un moyen de dire que les couleurs de la vie sont toujours présentes à l’intérieur d’une personne en deuil. »

Ces nombreuses rencontres ont permis à Silke de réaliser encore mieux que le deuil prend doucement la place qui lui revient dans notre société. « Par le passé, le deuil était présenté comme un phénomène qui s’atténue avec le temps. Nous disons d’ailleurs que “le temps guérit toutes les blessures”. Mais il n’en est rien. Le deuil ne se digère pas, il ne nous quitte pas, vous y survivez, vous apprenez à vivre avec. Le chagrin ne s’atténue jamais, mais la vie reprend le dessus, vous grandissez en tant que personne. »

Le deuil est autorisé

Les dessins originaux sont transmis aux personnes qui ont raconté leur histoire. Silke a toutefois pour projet de publier un recueil, en combinaison avec les textes de présentation. « Je ne me vois pas conserver moi-même les originaux. Par ce don, je veux dire aux personnes endeuillées : acceptez votre douleur, vous avez le droit d’être en deuil, ne le cachez pas. Regardez, j’en ai même fait un dessin. Qui sait, peut-être que ces dessins seront accrochés quelque part dans la maison et feront ressurgir de nombreux souvenirs. Je serais ravie de l’apprendre. »